Le P. Canisius NIYONSABA — 18. Paroisse Sainte-Reine - Auxerre Val de Baulche

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Le P. Canisius NIYONSABA

Interview réalisé avec le Père Canisius Niyonsaba,
Curé de la Paroisse Sainte-Reine Auxerre Val de Baulche

 1. Père Canisius, qui êtes-vous?

Je m’appelle Canisius NIYONSABA,  je suis prêtre de l’archidiocèse de Kigali / Rwanda depuis 20 ans. Je suis d’origine, paysanne,  j’ai vécu à proximité de la ville de Kigali, la capitale du Rwanda, à quelques 35 km. Je viens d’une famille paysanne qui a beaucoup souffert au début du siècle passé car toute la famille de ma grand-mère paternelle a été décimée pendant la première guerre mondiale ne laissant que ma grand-mère, morte aussi après la guerre quand mon père n’avait que quelques mois seulement. Notons que le Rwanda était la colonie allemande et ce petit royaume au cœur de l’Afrique était en bonne relation avec ses colonisateurs, ce qu’il a payé très cher lors de la première guerre mondiale quand l’Allemagne perdit toutes ses colonies en Afrique. Le roi du Rwanda avait ordonné d’aider des allemands sur son royaume. Certaines familles ont porté secours aux militaires et leurs fils ont combattu avec eux quand les militaires belges ainsi que des soldats du Congo, leur colonie, entrèrent dans le pays, ils ont chassé des allemands ainsi que les paysans qui les aidaient. C’est dans ces circonstances que la famille de ma grand-mère a disparu. C’est dans cette douleur que mon père, fils unique dans une société où la famille compte beaucoup a fondé sa famille et où je suis né septième d’une fratrie de 10 enfants, il y a 50 ans ! Mes parents ont tout fait pour avoir une grand famille mais jusqu’à maintenant nous sommes encore une petite famille au sens de la famille africaine.

Au Rwanda, un enfant sans oncle ni tante ni cousin paternel est un être sans repère pour son épanouissement social. Les parents ont essayé de nous instruire, en nous donnant une éducation chrétienne, humaine et sociale. Notre frère ainé a fait de grandes écoles, devenant universitaire à la fin des années soixante, ce qui a donné à toute notre petite famille un goût d’étudier. Vivre tout près de la ‘mission catholique’ a aidé nos parents à nous éduquer. J’ai commencé très tôt l’école, je l’ai terminée avec un diplôme en Sciences Agronomiques dans une école prestigieuse de la Coopération Helvétique, malheureusement ladite école a fermé ses portes à cause des événements dramatiques de 1994 qui nous ont éprouvés en faisant encore des victimes dans notre famille et laissant des séquelles insurmontables ! Tous ces événements ont contribué sans doute à ma vocation sacerdotale.

Je ne peux pas me définir en oubliant ce qui a occupé ma vie pendant toutes ces années de mon existence. Je me rends compte que mes études ont caractérisé ma vie. Plus de 30 ans sur les bancs d’école ! Au début des années 2000, je suis allé faire mes spécialisations académiques en Espagne où j’ai décroché différents titres universitaires : Licence en Sciences Ecclésiastiques et Maîtrise en Théologie Pratique à l’Université Pontificale de Salamanque, Postgraduate ou Maîtrise en Sociétés Africaines et Développement à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, Maîtrise en Anthropologie Culturelle et Sociale à l’Université Autonome de Barcelone et Doctorat en Morale Sociale à la Faculté de Théologie de Catalogne. 

Beaucoup d’amis me trouvent trop personnel et rigoureux envers moi-même mais je pense qu’ils se trompent car j’aime le dialogue, la liberté, le partage, la fidélité, la sincérité, la simplicité, la justice ainsi que tout ce qui rend la vie douce. Ce qui est évident c’est que je n’aime pas me prononcer quant à mon être intérieur, c’est pour cela que je donne  à chacun le droit de le faire et de me le partager, lorsque c’est possible. 

 2. Quelle était votre activité pastorale avant d’arriver en France?

Après mon ordination, Monseigneur l´Archevêque de Kigali m’a nommé recteur du Séminaire Saint Vincent (trois cent cinquante séminaristes et une vingtaine de professeurs). Une mission qui m’a demandé de l’énergie.  Nous étions trois prêtres alors que nous aurions dû être au moins 5 ou 6 prêtres pour cet apostolat. Au bout de deux ans, j’ai été nommé curé d’une grande paroisse (140 mille habitants). Ensuite, je suis allé en Espagne où j’ai pu combiner mes études avec d’autres activités pastorales : curé de paroisses, professeur de cours «le Mystère de Dieu» et chargé de travaux des étudiants finalistes à l’Institut Supérieur de Sciences religieuses du Diocèse de Vic en Catalogne.

En 2014 je suis retourné au Rwanda où j’ai été nommé économe diocésain chargé du patrimoine, de la planification du diocèse, du développement et de la gestion économique des paroisses. J’étais aussi professeur et recteur de l’Institut des Sciences Infirmières, une école universitaire de l’Archidiocèse de Kigali qui forme des infirmiers et des sages femmes. Ces activités académiques dans le domaine de la santé m’ont obligé à être Vice Président du Conseil d’Administration de l’Hôpital diocésain de Ruli. Je me suis vu confier aussi l’aumônerie des universitaires de l’archidiocèse de Kigali.

 3. Pourquoi et comment êtes-vous arrivé en France, dans notre paroisse Sainte-Reine, Auxerre Val de Baulche ? Comptez-vous repartir au Rwanda dans quelques années ?

Je suis venu comme prêtre «Fide Donum» c’est-à-dire prêté quelques années au diocèse de Sens-Auxerre. Cela me donne la possibilité de préparer une thèse de doctorat en Anthropologie Sociale et Ethnologie. En Espagne, on admire les anthropologues français et leur apport dans le développement de cette science. Mes professeurs espagnols m’ont conseillé de continuer mes recherches dans une université française. Quand mon Archevêque de Kigali me donna la permission de poursuivre mes études, nous avons cherché un diocèse d’accueil.  Mgr Hervé Giraud a accepté de m’accueillir et un accord a été établi entre mon diocèse d’origine et celui de Sens-Auxerre. Actuellement, je suis à la disposition de Mgr Hervé Giraud qui peut m’envoyer en mission, dans l’une ou l’autre des paroisses de son diocèse. Je le remercie très sincèrement de m’avoir accueilli, ce qui me permet d’associer mes travaux de recherche et mon activité pastorale.

J’ai envoyé mon projet de thèse à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris (EHESS) et j’attends l’approbation du conseil académique pour le mener à bien. Je reste à la disposition de l’Église, lorsque mon diocèse me rappellera,  je rentrerai. Mais je souhaite pouvoir terminer mes recherches académiques en France.  

 4. Vous êtes arrivé il y a bientôt un an. Quel est votre regard sur l’Église de France et plus particulièrement sur notre paroisse ?

 L’Église occidentale en général et française en particulier traverse une période de crise. Les fidèles baptisés sont en diminution, un grand nombre d’entre eux est âgé. Le nombre de prêtres, de religieux et religieuses est aussi en baisse. C’est une société qui semble déchristianisée  avec la domination de l’indifférence, le silence est partout même dans nos églises. Dans cette situation, il y a des ‘prophètes de malheurs’ qui pensent à la fin de l’Église. En sociologie, il y a ce qu’on appelle la prophétie autoréalisatrice, la prophétie annoncée  advient. Mais n’acceptons jamais cette prophétie lorsqu’elle annonce la fin du monde et de l’Église. Celle-ci n’est pas une entreprise dont la faillite est inévitable. Ceux qui restent fidèles à l’Église ne sont pas des agents de liquidation qui règlent des affaires courantes. Nous sommes en œuvre parce que la vigne du Seigneur est toujours vivante. Une crise dans l’Église ne peut pas être signe de sa fin mais une occasion de prise de conscience pour se redresser, corriger nos erreurs et avoir confiance en Dieu. Notre Église a traversé des moments difficiles car elle est l’épouse du Seigneur. Mais Elle doit garder ses armes : la foi en Dieu source de notre fraternité et de notre unité ainsi que la fidélité à sa mission.

Loin de nous, toutes les formes de pessimisme. Celui-ci  est l’ennemi de la foi et de la mission. Un croyant qui baisse les bras perd toute son espérance et il devient malheureux car il ne ressent pas les signes de la présence de Dieu sur son chemin. Il y a quelques signes d’espoir: l’Église de France est une Église expérimentée, adulte mais pas vieille. C’est une Église qui permet de vivre une foi personnelle avec un laïcat dynamique et engagé. La majorité des fidèles sont absents et le «petit reste» continue à témoigner comme les 12 apôtres autour de Jésus « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu. » (Jn 6, 68- 69). Vous avez une base solide de la foi que l’on ne trouve pas chez nous en Afrique : votre société est fondée dans la culture judéo-chrétienne. Ceci est une opportunité unique et une grande force. Des églises, des croix et des images un peu partout, des monastères et des sanctuaires tout cela devraient faciliter la tâche de communiquer, d’annoncer la foi. Ce sont là, me semble-t-il, des pierres vivantes en attente. Les touristes qui visitent ces lieux ne doivent pas y trouver de simples agents de tourisme mais un personnel préparé qui peut susciter la foi.

Dans les différents diocèses, des  laïcs comme ceux de la paroisse font un effort exceptionnel de maintenir le flambeau de la foi à travers les équipes de catéchèse, d’obsèques et de liturgie. Il y a ici et là quelques groupes qui se réunissent autour de la Parole de Dieu, de la prière, du rosaire et de l’adoration. Des personnes visitent des malades et des personnes âgées, et contribuent aux besoins matériels de l’Église...

Je dirai qu’ici en France, l’Église offre une joie parce qu’elle permet de vivre une foi personnelle. Nous sommes en train de traverser un temps de sécheresse spirituelle mais pas profonde, car il y a peu d’arbres, mais avec beaucoup de fruits. Ces arbres résistent à la sécheresse et ils produisent des fruits d’espérance qui doivent alimenter toute la société. Nous savons qu’après la sécheresse vient le beau temps et cette espérance est source de grand bonheur

5. Comment comptez-vous entrer en contact avec la population de nos villages? Quels sont vos projets?

Depuis mon arrivée à la paroisse Sainte-Reine Auxerre Val de Baulche, j’ai rencontré des personnes des différents villages de notre paroisse. Nous célébrons ensemble l’Eucharistie ainsi que d’autres sacrements comme le baptême et le mariage.  Je compte continuer ces contacts en visitant des malades, des personnes âgées chez elles ou dans des résidences; en participant à certaines activités sociales ou culturelles et en essayant de partager ma foi dans des mouvements de spiritualité qui rassemblent des fidèles, comme les groupes du rosaire, de la prière charismatique, etc. Mon projet est d’essayer de réaliser la pastorale du diocèse, de vivre la fraternité à travers de petits groupes de fidèles qui veulent approfondir leur foi à travers la formation. Tous, nous sommes appelés à réaliser ensemble ce projet pastoral de notre diocèse.   

 6. Avez-vous d’autres projets personnels?

Apprendre l’allemand, améliorer mon anglais et mon italien. Je compte également rédiger l’histoire de ma vie pendant les 165 jours de souffrance vécue durant le génocide au Rwanda en 1994. Pour concrétiser ces objectifs, toute aide sera reçue avec joie et reconnaissance.

  • curé
    • P. Canisius Niyonsaba prêtre
      85, avenue de Saint-Georges 89000 Auxerre 07 67 89 14 23 Contacter par courriel