Edito du Père Arnaud Montoux

Le courage de l’action de grâce

Quand nous avons édité la feuille paroissiale du mois de mars, nous étions loin de nous attendre à vivre une telle période. Depuis le début de ce long carême, nous sommes passés par des temps que j’ai souvent qualifiés d’étranges et qui nous marqueront sans doute durablement. Pendant ces semaines nous avons tous jeûné de rassemblements communautaires et d’Eucharistie, d’amitié, de liens familiaux concrets et de tous ces liens sociaux qui nous façonnent au quotidien ; quel que soit le ressenti lié à ces dix semaines, nous sommes tous un peu restés coincés dans un printemps volé ; il manque des mois à cette année et nous ne les retrouverons sans doute jamais…

Si je dis que ces temps ont été engloutis, alors que nous les avons vécus (plus ou moins bien), c’est que nous ne pouvons pas ignorer que notre existence n’est pas seulement le déroulement de notre petite vie individuelle. De ce point de vue un peu étroit, nous aurons bien-sûr vécu chaque jour avec ses matins, ses midis et ses soirs, nous aurons mangé, nous aurons dormi, nous aurons travaillé d’une manière ou d’une autre ; le temps de l’horloge ne sera allé ni plus vite ni plus lentement et pas une page du calendrier ne manquera à l’appel ! Pourtant, il y a bien autre chose : nous ne sommes pas seulement des organismes biologiques et le bon fonctionnement de nos horloges ne suffit pas à faire de nos heures un vrai temps, digne de ce nom. En vérité, nous avons vu s’arrêter les activités habituelles de la vie paroissiale, de l’économie, de l’école, de la vie associative et sportive ; nous avons vu se fermer les frontières, nous avons eu peur d’aller faire nos courses, nous avons vécu dans des périmètres rétrécis, et aujourd’hui encore, nous ne savons plus vraiment comment nous dire bonjour…

Tout cela a bouleversé nos vies plus profondément que nous le pensons au premier abord. Ces peurs n’étaient pas un jeu, et si certains disent après coup que cela n’était pas si grave (puisqu’ils n’ont perdu aucun proche), ils auraient sans doute intérêt à aller rencontrer ceux qui ont été si durement atteints par la maladie ou la mort des leurs. Nous réagissons parfois comme des ingrats qui ne respectent pas le poids des épreuves et leurs leçons d’humilité. Au lieu de fanfaronner comme des enfants qui veulent oublier leurs peurs à peine dépassées, nous aurions tellement besoin de prendre la vraie mesure des enjeux de ce temps d’épreuve : nous avons redécouvert le prix de la chair, de la fragilité, de la beauté de nos liens humains ; nous avons fait l’expérience de la fidélité de Dieu, de sa grâce qui n’est jamais confinée, tant mieux ! Mais surtout, n’oublions pas ! Que notre confiance en l’avenir ne revête pas les formes de certaines bravades adolescentes qui croient conjurer les épreuves en les méprisant, mais plutôt celles de l’action de grâce et du témoignage en faveur de la noblesse de la condition humaine.

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