Édito du Père Arnaud MONTOUX

Dans la vie, il y a les premiers moments … et les derniers.

     Je me souviens bien de mes premiers moments auxerrois et je redoute bien évidemment ces derniers qui ne cessent de s’enchaîner depuis quelques semaines déjà. Ma foi est vive, ma confiance en l’avenir également, mais je ne suis pas de ceux qui voilent l’épaisseur des seuils pour les franchir ; je crois qu’un seuil reste une épreuve autant qu’une chance : se trouver sur le seuil c’est savoir ce que l’on quitte sans voir encore bien ce que l’on va découvrir en avant ; l’espace familier que l’on a façonné, habité avec d’autres, dans lequel on a été heureux et qu’on laisse derrière soi, mérite qu’on ne le quitte pas sans considération. L’espace qui s’ouvre au-delà du seuil est à la fois désirable et inquiétant, parce qu’il est nouveau, un peu étrange par cette nouveauté. Il faut lui laisser la grâce et la chance de sa nouveauté, sans le réduire à une simple chose qu’on prend comme un bien. L’avenir qui s’ouvre va nous changer, nous transformer, et il mérite le respect qu’on ressent à l’approche d’une relation nouvelle.

     Dans les semaines qui viennent, j’aurai l’occasion de vous saluer, de vous remercier pour ce que j’ai vécu avec vous, mais je le fais déjà dans ces lignes. Auxerre est un lieu source pour moi, et depuis longtemps, vous le savez. Désormais mes racines auxerroises passent par le terreau fertile de ce que j’ai vécu avec vous pendant ces cinq années. Il y aura eu des moments heureux et des moments difficiles, des instants de profonde communion et des moments d’incompréhension, des projets, des réussites, des échecs, des inachèvements et des accomplissements, mais tout ce que nous avons vécu l’a été dans la perspective du Royaume qui vient.

     J’espère que vous aurez bien compris que ma vie et mon ministère auront été tournés vers le désir d’être avec vous, le signe de la Réalité invisible qui donne sens à toute vie, à tout projet, à toute chose. Si nous avions agi en dehors de ce désir, nous n’aurions été que les artisans d’un projet humain supplémentaire s’ajoutant aux autres ; en ancrant notre témoignage dans ce désir parfois difficile à discerner, nous aurons cherché à servir la révélation des profondeurs qui sous-tendent tous les projets des hommes.

     Comme Chrétiens nous n’avons pas à défendre des particularités communautaires, mais à servir l’aspiration au Salut qui irrigue la Création toute entière sans qu’elle le sache vraiment elle-même ; notre mission de Chrétiens est de porter en nos propres vies, souvent fragiles, la conscience de cette destinée finale du monde qui se dit souvent dans des « gémissements inexprimables » (Rm 8, 17-26). Je souhaite du fond du cœur que vous gardiez de moi cette conviction profonde qui a été le sens ultime de chacun de mes gestes et de chacune de mes paroles de curé.

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