Petit éloge de l'ennui — Diocèse de Sens & Auxerre

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Petit éloge de l'ennui

“Jm’ennuie ! J’sais pas quoi faire !” Qui n’a pas entendu cela comme parent, qui ne l’a pas vécu comme enfant, un peu, beaucoup, désespérément. Appel à l’aide, appel à l’autre dont la réponse est déterminante pour l’enfant.

Une telle interpellation ne vient que chez un enfant déjà capable de langage et de conscience de soi pour pouvoir nommer cet état intérieur, un peu pénible, voire angoissant, qui peut survenir quand une activité cesse, quand une rencontre s’achève. Un éprouvé que nous partageons tous mais dont la tolérance est variable.

Le rapport au temps (durée) évolue avec l’âge, la maturité psychique et le vécu précoce plus ou moins pénible de séparation, de solitude, d’absence. À tout âge, l’ennui est affaire de dosage.

Mais s’ennuyer n’est pas dans l’air du temps. La société frénétique qui nous façonne, a tout prévu pour éviter les moments d’ennui. Pour “occuper les enfants” du matin au soir, tous les jours de la semaine, et durant les vacances, les propositions sont quasi infinies. Chaque famille a son programme, pour petits et grands, mais la fatigue n’est jamais loin.

Plus insidieux et terriblement efficace contre l’ennui, le recours aux écrans. Petits et grands sont fascinés et captés par une technologie qui grignote notre temps disponible. Certes plus d’ennui, mais bien des ennuis aux multiples facettes pour les enfants (troubles du sommeil, crises de colère, difficulté à se concentrer, excitation, obésité…).

S’ennuyer permet d’appréhender réellement le temps qui passe

Pourtant la possibilité de s’ennuyer un peu est déterminante pour bien grandir. Un peu d’ennui n’est pas mortel, même s’il comporte quelques risques !

Tous les parents le savent, les enfants ont souvent un véritable talent pour créer et pour prendre des initiatives assez inattendues quand ils s’ennuient un peu. Ils font des “bêtises”. Ils jouent, explorent le monde à leur façon, font des expériences plus ou moins artistiques, plus ou moins tragiques. Ce temps devient l’occasion de découvrir, d’inventer des histoires, de se raconter leur vie et de rejouer à l’envie des scènes de leur quotidien pour apprivoiser le monde, leur monde.

Autoriser l’ennui à un enfant lui ouvre cette capacité à être seul, à développer sa vie intérieure et son imaginaire, avec quelques jouets, quelques livres et un parent disponible à proximité. Pourtant l’ennui créatif ne vaut que par le modèle parental qui l’accompagne et le propose.

Alors, sommes-nous encore capables de nous ennuyer, un peu, beaucoup, passionnément ?


Dominique Boutrolle, pédiatre
article paru dans la revue diocésaine Église dans l'Yonne n°7- juillet/août 2020, page 21

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