Mais que font les évêques… ? — Diocèse de Sens & Auxerre

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Mais que font les évêques… ?

Il y a 9 ans, le 19 avril 2015, Mgr Hervé Giraud était installé nouvel évêque du diocèse de Sens & Auxerre. Avant l’Assemblée plénière de printemps (du 19 au 22 mars 2024) qui réunit les évêques de France à Lourdes, Mgr Hervé Giraud a souhaité répondre à cette question : “Mais que font les évêques ?”

Par Mgr Hervé Giraud

Mais que font les évêques ? La question pourrait se poser de la même manière pour les prêtres ? Que font les prêtres de leurs journées ? Que font-ils à part célébrer la messe le dimanche dans des paroisses ? La question est rarement posée et la réponse est rarement connue, sinon qu’ils sont « très occupés » ! Quand je vois le décalage entre ce qui est véhiculé et ce que les évêques ou les prêtres vivent, il peut être utile de commencer par décrire simplement ce qui constitue l’essentiel de ce que je connais le mieux, le ministère et la vie des évêques. Mais au préalable il est bon de rappeler cette évidence : si des évêques et des prêtres travaillent entre 70 et 80 heures par semaine, il ne faut pas oublier que beaucoup de parents ou de célibataires vivent ce rythme avec leur travail (s’ils en ont un) et leurs responsabilités familiales ou associatives. Dans ce petit article je voudrais donc simplement donner un témoignage de 21 ans de vie d’évêque, dont 9 passés dans le diocèse de Sens-Auxerre. Il sera facile de voir ce qui rejoint aussi la vie des prêtres, des diacres, des consacrés et des fidèles laïques car ces derniers « participent à la fonction du Christ Prêtre, Prophète et Roi » et « ont leur part active dans la vie et l’action de l’Église » (Vatican II, AA 10).

En arrière-fond de toutes leurs charges les évêques sont au service du Peuple de Dieu, un peuple plus large que la seule Église catholique locale, qu’on appelle un diocèse. En effet s’ils exercent « leur autorité pastorale sur la portion du Peuple de Dieu qui leur a été confiée » ils doivent aussi porter une attention à ce que vivent leurs contemporains.

Pour comprendre la largeur de leur ministère il faut souligner que les évêques appartiennent à un « collège épiscopal », c'est-à-dire à la fraternité effective de tous les évêques du monde, en gardant le lien avec l’évêque de Rome, le pape, fondement de leur unité. Ils ne doivent donc jamais agir isolément mais se soucier de l’ensemble de l’Église universelle (Cf. LG 23). Cette première charge est largement méconnue alors que leur mission comprend cette sollicitude notamment envers les Églises les plus pauvres. Par ailleurs chaque évêque fait partie d’une Conférence épiscopale nationale : celle-ci se réunit deux fois par an (soit environ 10 jours par an sans compter les déplacements). En France, chaque semaine, le mercredi soir, une « lettre circulaire » (LC) informe les évêques des différents dossiers ou réflexions en cours. La lecture hebdomadaire de cette « LC » nécessite parfois quelques heures de travail selon le nombre de dossiers envoyés, notamment à l’approche des Assemblées plénières à Lourdes. Notons aussi que chaque évêque appartient à une Province ecclésiastique qui l’engage à une collaboration plus étroite et à des mutualisations à tous niveaux. Ce qui est le cas dans notre Province de Dijon pour la formation continue des prêtres, des diacres ou des laïcs en mission.

À partir de là c’est bien principalement pour le service de l’Église locale que l’évêque a été nommé et ordonné. Et son ministère de la communauté doit être constamment orienté par un souci missionnaire. Et pour cela il doit avant tout prier pour le peuple de Dieu qui lui est confié car toute prière rejaillit comme autant d’exigences pastorales. Si cette prière fait partie de l’agenda, elle habite aussi toutes les autres charges : il nous faut ainsi prier avant une réunion, ou pendant la réunion, ou après pour rendre grâce ou décider. Le temps passé à la prière peut varier d’une heure minimum à plus de deux heures par jour si l’on compte la célébration quotidienne de l’eucharistie, la Liturgie des Heures, la méditation des Écritures (lectio divina), la prière silencieuse (oraison) et d’autres prières comme le chapelet. Les nombreux déplacements en voiture sont aussi l’occasion de rendre grâce ou de supplier.

Pour vivre leur mission, les évêques ont le devoir de s’informer. Ils doivent se tenir au courant de ce que vivent le monde, leur région et bien sûr l’Église. Cela passe par de nombreuses lectures de revues, d’articles, de quotidien (comme La Croix) ou de livres. L’évêque ne peut ignorer, par exemple, ce qu’écrit le pape, ainsi que ses services (les dicastères romains). Même si le pape n’écrit pas des encycliques tous les jours, ses multiples interventions ont souvent un tel retentissement qu’il est difficile à un évêque ordinaire de ne pas s’en tenir informé, voire de les étudier de près (Cf. Fiducia supplicans !).

Mais ce que met en avant le Concile Vatican II dans la charge des évêques, c’est notamment une triple présidence : les évêques « président à la place de Dieu le troupeau, dont ils sont les pasteurs, par le magistère doctrinal, le sacerdoce du culte sacré, le ministère du gouvernement » dit Vatican II (LG 20). Autrement dit un évêque ne fait pas tout, mais il fait en sorte que chaque baptisé puisse célébrer le Seigneur, annoncer l’Évangile, servir l’humanité. C’est le sens de ses visites pastorales ordinaires, celles qui permettent à chaque évêque de rencontrer des acteurs de la vie ecclésiale, sociale, économiques, politiques, culturelles, sportives ou associatives. Ces visites lui permettent de connaître « les brebis du Seigneur », les « réalités terrestres » et d’être attentifs aux « lointains ».

Si l’on reprend la triple charge des évêques, c’est d’abord celle de « la prédication de l’Évangile » qui est la mission principale des évêques. Or nos enseignements sont rares en dehors des homélies. Comme il est dit dans les Actes des Apôtres, « il n’est pas bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables » (Ac 6, 2). Les évêques devraient pouvoir rester « assidus à la prière et au service de la Parole » (Ac 6, 4). Comme le disait, en son temps, saint Grégoire le Grand, « nous avons glissé vers des affaires extérieures et la charge honorable que nous avons acceptée est bien différente des fonctions que nous exerçons en fait. Nous abandonnons le ministère de la prédication. (…) En nous laissant prendre par des actions extérieures, nous avons négligé le ministère de notre tâche propre. » Personnellement si j’ai la joie de poster chaque soir sur les « Réseaux sociaux » un court commentaire d’un verset biblique (sur les lectures du lendemain), je ne peux que constater que je commente rarement l’Évangile et enseigne peu. On me demande souvent mon avis sur beaucoup de sujets de société, mais il est rare qu’on m’interroge sur des questions liées à la Parole de Dieu ! Or saint Marc relève que lorsque Jésus est saisi de compassion envers la foule, il se met « à les enseigner longuement » (Mc 6,34). Dans notre diocèse la formation a un rôle essentiel : elle a été confiée à un vicaire général avec une équipe chargée d’élaborer chaque année un livret basé sur la Parole de Dieu pour les Fraternité paroissiales, de proposer des « frises » sur Jésus, la Bible, l’Église, la prière, le baptême, le mariage, les liturgies… pour les catéchumènes ou la catéchèse de base.

La deuxième charge épiscopale consiste à sanctifier. Les évêques président les eucharisties, baptisent des adultes. Ils sont aussi les ministres originaires de la confirmation. La célébration de ce dernier sacrement est souvent un temps fort pour eux. Nous sommes tous marqués par les témoignages des confirmands. Les célébrations bien préparées par le Peuple de Dieu lors des visites pastorales sont aussi un temps stimulant. La présidence liturgique est la tâche la plus visible mais elle est aussi celle qui prend le moins de temps dans l’agenda des évêques. Notons que la célébration de la messe chrismale est probablement un des temps les plus marquants de la vie d’un évêque quand il préside, entouré de nombreux fidèles du diocèse et notamment des prêtres qui renouvellent leurs promesses d’ordination presbytérale.

Enfin troisième et dernière charge : la fonction de gouvernement. Elle est la dernière et pourtant la plus chronophage. Il s’agit principalement de conduire un diocèse, de nommer des prêtres, diacres et laïcs en fonction de leurs aptitudes et de leurs attentes. Il faut beaucoup de temps et de patience pour écouter les personnes, dialoguer, réunir, concilier et décider. Le choix de collaborateurs, de plus en plus laïcs, est ici essentiel pour le travail quotidien. Partout en France se renforce le secrétariat des évêques qui remplace peu à peu ce qui était intégralement tenu jadis par un vicaire général. Les courriers devenus courriels ont pris une place plus importante dans la journée notamment en raison du développement des Réseaux sociaux. Le flot ne cesse jamais. À ce travail épistolaire s’ajoute un travail de suivi des affaires économiques et sociales. Il faut, par exemple, donner son avis sur la campagne du Denier, suivre avec l’économe diocésain la moindre difficulté concernant les salariés, les problèmes de mobilier ou d’immobilier, réunir le Conseil des affaires économiques, penser les départs à la retraite ou les embauches. Heureusement un vicaire général modérateur, aidé par un « Comité RH et/ou gouvernance », régule les conflits qui deviennent de plus en plus complexes. De plus, ces dernières années, les évêques ont été confrontés à la gestion des affaires d’abus (de conscience, d’emprise…) et de violences sexuelles commises par des clercs. Ils ont pris le temps d’écouter les victimes, de suivre les procédures et d’accompagner les personnes. La mise en place des cellules d’accueil et d’écoute a permis d’épauler les évêques.
Cette charge de gouvernement ne vise pourtant pas seulement la gestion interne d’un diocèse. Car il s’agit non seulement de gouverner mais, plus largement, de servir : « L’évêque doit garder devant ses yeux l’exemple du bon Pasteur venu, non pas pour se faire servir, mais servir » (LG 28). Devant la charge du travail l’attention envers les pauvres peut devenir un parent… pauvre des agendas épiscopaux. Certes c’est au Peuple de Dieu dans son ensemble d’avoir « le souci du faible et du pauvre », mais l’évêque doit montrer l’exemple. Cela nécessite une décision personnelle si on ne veut pas se laisser « manger » par la multitude des choses à faire. Personnellement j’essaye d’œuvrer avec les équipiers de la Société Saint Vincent de Paul, par la distribution de repas ou par quelques maraudes. J’essaye aussi de ne pas faire de différence entre les personnes quand elles demandent un entretien avec moi, non sans un discernement toutefois pour respecter les corps intermédiaires. Cette fonction de gouvernement révèle que l’évêque a beaucoup (trop !) de pouvoirs et le devoir constant de le convertir en service. La charge de gouvernement est de loin la charge la plus exigeante et occupe une place prépondérante dans l’agenda.

Les évêques ont aussi des Conseils de tous ordres qui leur prennent beaucoup de temps en amont, et en aval : Conseil pastoral (missionnaire diocésain), Conseil presbytéral, Conseil épiscopal, Conseil de tutelle, Conseil diocésain des Affaires économiques, Conseil de la vie consacrée, Conseil de la solidarité etc. Mais la somme de travail ne s’arrête pourtant pas là. Les évêques doivent aussi, et ce n’est pas la moindre de leurs tâches, veiller d’une manière particulière au ministère et à la vie des prêtres. Les prêtres sont des coopérateurs de l’ordre épiscopal. Les évêques doivent ainsi veiller à faire exister et vivre le presbyterium. Le Conseil presbytéral est ici d’une grande nécessité, et pas seulement canonique. Puisque les évêques ont reçu la charge de guider la communauté, ils doivent l’exercer en collaboration avec les prêtres et les diacres, figures oubliées alors que le signe donné demeure essentiel.

Par ailleurs l’évêque doit aussi continuer, non seulement à lire et à s’informer, mais à se former, à se renouveler aussi bien sur les sujets d’actualités que sur les nouvelles questions morales, anthropologiques ou théologiques. La vie épiscopale est jonchée de problèmes contingents. Il ne se passe pas une semaine (parfois un jour !) sans qu’un événement advienne, venant perturber… ou embellir la vie ordinaire. Mais le plus souvent ce sont les cas difficiles qui peuvent être lourds à porter psychologiquement. C’est pourquoi des évêques apprécient d’avoir aussi leur propre lieu de relecture de vie avec quelques confrères et, naturellement avec un accompagnateur spirituel.

Que dire encore ? Mis à part le fait de faire des courses, des repas ou sa lessive (!) l’évêque est un homme avec une famille et, parfois encore, avec ses parents. Certes le Christ a averti ceux qui le suivent : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14,26). Il n’empêche qu’il nous faut aussi « honorer son père et sa mère » (Cf. Mt 19,19). Personnellement je dois ainsi prendre soin, avec mes frères et sœur, d’une maman de 94 ans vivant encore chez elle. Cela peut me prendre quelques jours de présence par mois. Quant aux amis il est souvent difficile d’avoir le temps de les voir. Ainsi il me semble qu’on demande beaucoup (trop !) aux évêques. Et il est bon que Jésus nous redise : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. » (Mt 11,28) Pour aimer son prochain comme soi-même (Cf. Mt 19,19) il convient de prendre le temps d’un repos même réduit ! L’évêque étant simplement un homme - le ressuscité nous fait devenir évêques avec ce que nous sommes - son travail peut le conduire aussi à une certaine fatigue. Cette dernière peut être sereine mais aussi tendue. D’autant plus que les évêques vivent constamment sous la pression des événements, des plaintes, des transformations internes. Les moyens d’éviter « la lassitude intérieure » (EG 83) existent. Quand il est difficile de prendre une journée de retrait(e) par semaine, il faut alors trouver, dans sa journée, ce moment « eutrapélique » qui permette de détendre à la fois le corps, l’âme et l’esprit. La lecture, la simple marche et tout autre moyen permettent l’aération nécessaire face aux multiples soucis, car Dieu aussi s’est reposé de son travail (Cf. He 4, 10).

Si « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ » on imagine bien qu’« il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans (le) cœur » de chaque évêque. Mais les évêques ne peuvent plus tout assumer, tout décider, tout prévoir. Confrontés à de trop fortes attentes les évêques ont besoin de recentrer leur ministère. Cette « obéissance au réel », évoqué souvent au sein de la Prélature de la Mission de France, rejoint la vulnérabilité commune de la société actuelle. D’aucuns jugent la charge épiscopale trop lourde et trop longue. Mais elle rejoint aussi les difficultés de tant d’hommes et de femmes d’aujourd'hui. « Ressuscités avec le Christ » (Col 3, 1) les évêques ont et sont « une mission sur cette terre » (EG 273). Parfois décrédibilisés, les évêques ne doivent pourtant viser qu’à rendre un unique témoignage : le Christ est l’unique Grand Prêtre et Bon Pasteur. « Telle est ma joie : elle est parfaite. Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. » (Jn 3, 29-30)

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