Colloque sur l' arbre de Jessé — 22. Paroisse St-Pierre - St-Paul de Puisaye-Forterre

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Colloque sur l' arbre de Jessé

Portail de l'église

La trilogie de l’anniversaire de l’église Saint-Julien de Thury (1521-2021) s’est terminée le 16 octobre 2021 par le colloque de l’Arbre de Jessé.
Cinq intervenants de haut niveau étaient présents Madame Kerfa (guide conférencières à Joigny), Madame Saulnier -Pernuit (responsable de l’art sacré à l’archevêché de Sens-Auxerre), Monsieur Wahlen (historien), Madame Durand, ancienne conservatrice des musées d’Auxerre, Michel Mourot (président des « Amis de l’église de Thury »)
Après la diffusion de vidéos, d’images, les conférenciers sont intervenus sur les trois plus célèbres Arbres de Jessé de l’Yonne : Joigny, Sens, Saint-Bris -le -Vineux et la dernière découverte celui de Thury inscrit dans un cercle une rare représentation à deux branches
Ce thème qui illustre la prophétie d’Isaïe (Jessé et la descendance de son fils, le roi David) à déclencher de nombreuses questions du public présent

En préalable à cette journée organisée à propos de l'arbre de Jessé représenté au portail de l'église de Thury, je propose trois réflexions :

Origine du thème
Sa signification et son développement iconographique
Le rôle de l'abbé Suger dans sa diffusion et sa portée théologique.

1. Origine

Jessé : qui est-il ?

« Un rejeton sortira de la souche de Jessé,
un surgeon poussera de ses racines
sur lui reposera l'esprit de Yahvé. »

Dans l'Ancien Testament (au livre de Ruth), il est simplement nommé comme fils d'Obed (lui-même fils de Ruth et de Booz) et père de David, qui sera roi de Juda puis de tout Israël, à Jérusalem.
Mais le Livre d'Isaïe lui donne une place fondamentale, chap.11-2 :

              Ce mot « surgeon », étymologiquement « ce qui va jaillir » peut également se traduire par « une fleur ».

Donc, dès ce texte apparaît l'image d'une verticalité, ce qu'est bien l'arbre, second élément de notre iconographie, ce symbole qui fait se rejoindre la terre et le ciel et dont Jessé, chez Isaïe, est désigné comme la souche, la racine.

  Ce symbolisme de l'arbre, cet ancrage dans la sacralité parce qu'il relie la terre et le ciel, se retrouve d'ailleurs dans de nombreuses autres et très anciennes civilisations.

  L'arbre évoque également le mystère de la vie, de la postérité, celle déjà promise à Abraham dans une perspective de restauration du monde !

 Saint Matthieu, en reprenant ce récit comme introduction, va enraciner son Evangile dans l'Ancien Testament, donnant ainsi une ascendance au Christ, fils de Dieu mais « de la race de David » à travers Joseph, descendant de Jessé et « père légal » de Jésus.

 Si Matthieu remonte jusqu'à Abraham, il fait de David le personnage important de cette généalogie. L'Epître aux Romains (1-3) de saint Paul insiste sur ce fait : le Christ est de la descendance de David selon la chair, ce à quoi, d'après certains textes, le Christ aurait émis quelques réserves : serait-ce par rapport à l'occupant Romain (sa royauté est d'un autre ordre, il l'affirme) ? Serait-ce contraire aux perspectives universalistes de son message ?

 Toutefois, l'insistance sur la généalogie du Christ, pour Matthieu, donne du sens à sa mission : il est venu accomplir l'Ancien Testament. La royauté divine sublime la royauté humaine tout en se greffant sur celle-ci !

Georges Duby insiste sur l'importance que prend la généalogie , « la mémoire des aïeux », aux XIe et XIIe siècles, comme, dit-il, « la plus forte armature de la conscience sociale », de la place de chacun tant dans l'histoire personnelle que sociale. Noblesse et chevalerie prennent corps dans le lignage.

des racines profondes aux multiples rameaux.

La verticalité de l'arbre répond parfaitement à cette mission :

 

            C'est ainsi, par cet ancrage, que se proclame l'humanité du Christ.

 2. Représentations iconographiques

 Quand apparaissent-elles ?

 D'après Emile Mâle, il y en aurait eu plusieurs dès la fin du XIe siècle et il cite quelques exemples :

Un manuscrit de Saint-Martial de Limoges, illustrant un jeu liturgique, « Le Drame des prophètes ».
E. Mâle évoque un abbé de Westminster qui (d'après une chronique d'un moine anglais du XIVe siècle) « acheta sur le continent un candélabre de bronze qu'on appela « Jessé », en 1091.
Un phylactère dans un manuscrit du couronnement du roi Vratslav II de Bohême en 1086. 

            Quel que soit le support, il y a un dormeur et un arbre sortant de sa poitrine.

  3. Rôle de l'abbé Suger (env. 1080-1151)

 Il faut rappeler son importance tant par sa pensée théologique que par son rôle politique (il fut régent du roi Louis VII quand celui-ci est en croisade), mais également par sa contribution à l'épanouissement de l'Europe des cathédrales.

 A partir du milieu du XIIe siècle, l'abbaye de Saint-Denis sera un éclatant foyer de pensée et de création, et Suger « une grande intelligence collaborant avec artistes et artisans », comme le dira E. Mâle.

 Ce n'est pas le lieu de développer les controverses qui opposèrent saint Bernard et l'abbé Suger sur l'idée et la fonction de la beauté ! Toutefois, rappelons que pour Suger « par la beauté sensible, l'âme s'élève à la beauté véritable » (Dédicace du porche de saint-Denis) et « notre faible esprit s'élève jusqu'au Beau à travers les réalités sensibles ».

  Un des moyens qui rendra possible cette élévation de l'esprit sera le recours aux symboles. E. Mâle, entre autres, est convaincu qu'avant Suger, la pensée symbolique n'existe pas.

  Si Suger n'a pas inventé la composition de l'arbre de Jessé, le vitrail réalisé pour l'abbatiale de Saint-Denis (très restauré et copié à Chartres) en donne sans doute une parfaite image que les siècles suivants reprendront :

De Jessé endormi sur son lit sort un arbre 
au-dessus, David
 puis la Vierge
 puis le Christ
 enfin le Saint Esprit
de chaque côté, des prophètes.

Suger voit le monument comme une œuvre théologique, célébrant « le Christ Homme ».

  Ainsi, à Saint-denis, le vitrail de l'arbre de Jessé est au centre du choeur, entre celui de Moïse et celui de la Passion, glorifiant l'Incarnation. Il reprend et achève le thème du porche présentant les personnages de l'ancienne Loi, prophètes et ancêtres du Christ, en marche vers Lui.

 Quand le culte marial grandira à partir du XIVe siècle, c'est la Vierge qui sera la « suprême fleur », l'arbre de Jessé devenant alors généalogie de la Vierge et s'éloignant un peu de la pensée de Suger.

 Inscrire la Vierge dans la lignée royale de l'Ancien Testament représente pour des historiens contemporains (D. Iogna-Prat, D. Russo, A. Guéneau, E. Palazzo) une articulation entre parenté charnelle et parenté spirituelle.

 Déjà, au IIIe siècle, Tertullien jouait sur les mots :
virga, la tige virgo, la vierge
« la racine de Jessé, c'est le sang de David
la branche qui sort de la racine, c'est Marie,
la fleur qui naît de la tige, c'est le fils de Marie. »

                        ..

 

 

 

 

 

 

Marie, la nouvelle Eve.

En conclusion, la production des arbres de Jessé sera intense et standardisée au XVe siècle, sous de multiples formes et supports : environ 300 représentations répertoriées et, même si le thème se raréfie en France après la contre-réforme, il continue d'être présent en Allemagne, en Autriche... y compris jusqu'en Orient, par l'intermédiaire des Croisades !

 L'Ancien et le Nouveau Testament sont ainsi mis en concordance, mettant fin à l'opposition des premiers siècles. De même, il proclame l'humanité du Christ contre les hérésies qui la nient.

Ainsi, plus qu'un arbre généalogique, l'arbre de Jessé figure la promesse faite à Abraham, portée par les prophètes, annonçant la venue du Christ et s'inscrivant dans une pensée symbolique profonde.

 

Micheline Durand